-A A +A

Emmanuel GROS : Et demain pour le management en collectivité au regard des leçons de la COVID-19 ?

Nous n’avons pas toutes les réponses à ce questionnement essentiel pour le management post crise. Nous nous efforçons néanmoins, en qualité de praticiens et d’experts du service public local, d’explorer des pistes de réflexion et d’actions. Telle est l’ambition d’une réflexion menée ces derniers mois. À l’épreuve d’une crise épidémique sans précédent, nos valeurs de service public ont conservé leurs lettres de noblesse, grâce aux hommes et aux femmes qui ont su, chacun(e), dans leur environnement institutionnel respectif, inventer, innover, s’adapter et construire le quotidien.
 
Par la force de l’urgence, le pays a tenu par la confiance, le collectif, la construction de nouvelles pratiques managériales. Soyons demain capables de réinvestir ce que nous avons mis en œuvre d’agilité, d’innovation, de simplicité, pour fonctionner.

Ainsi, le mode de travail à 100 % en présentiel a vécu. Le télétravail se mettait en œuvre jusqu’à présent doucement, malgré l’existence d’un cadre réglementaire de 2016. Pendant le confinement et presque du jour au lendemain, le travail à distance est devenu massif. Il a permis au pays de fonctionner, mettant en question nos modèles managériaux traditionnels.
Nous avons appris également à penser un mode de fonctionnement de crise « dégradé » qui doit nous être utile demain pour rendre plus souple nos organisations.
Nous allons devoir apprendre à « vivre avec » la menace du virus. Rien ne servira de chercher à l’éviter, sauf à revenir à la paralysie.
Ces acquis, il faudra enfin pouvoir les réinvestir dans la montée en compétence par la formation ou des actions permettant de faire communauté, tout en se préparant à une suite défavorable sur le plan sanitaire.

1 - La force du « CO »
  • Le paradigme d’un monde sans corps (une image et un son, pas de présence). Mais l’homme étant un animal social, ces barrières physiques imposées génèrent un besoin accru d’interaction et de lien.

Ainsi, la « COvid-19 » fait émerger le besoin de :
COhésion, grâce à de nouvelles solidarités, des équipes resserrées dans l’adversité,
COmmunication, de la part des dirigeants et managers afin de rassurer,
COllaboration, via les usages numériques qui recréent nos espaces de travail,
COllectif en revisitant les espaces communs destinés à faire équipe,
COdécision, en cherchant les solutions là où elles se trouvent,
COconstruction de l’Après à tous les niveaux de l’organisation.
Et bien sûr, remplacer le COntrôle par la COnfiance

  • C’est aussi l’occasion d’éradiquer tout le formalisme inutile et de favoriser l’innovation.

2 - L’avènement du travail à distance
  • Retrouver l’envie de travailler ensemble
Le mot management vient du latin manus agera, j’agis avec ma main. Or, il n’y a pas de main sur les outils numériques. Nous sommes tous devenus une image, une vignette, et surtout une voix. Sans corps. Or se priver de son corps, c’est se priver d’un vecteur de communication essentiel. La présence épargne parfois de longs discours. La présence physique, c’est aussi ce qui va permettre au management d’être le ferment de l’action collective. Être là, c’est faire la preuve par l’exemple de son adhésion au collectif, de sa participation à la vie quotidienne du groupe.
Pour gérer leurs équipes dans cette situation, les managers ont besoin d’apprendre à maîtriser de nouvelles compétences émotionnelles. Car c’est en sachant accueillir l’émotion négative qu’on peut en diminuer l’effet nocif et favoriser le développement des personnes et de l’entreprise. 
  • Des pistes pour demain
Les salariés demandent avant tout un suivi, du soutien et une relation régulière fondée sur la confiance. Le travail a besoin d’être repensé en fonction de cette expérience. À cette occasion, nous avons pratiqué un télétravail forcé. Cette expérience nous a fait prendre conscience que nos conditions habituelles de travail n’étaient pas forcément optimales.
Cela nous a fait aussi reconsidérer un ensemble de contraintes inutiles de notre activité habituelle qui sont en fait des empêchements de travailler : un temps de travail trop souvent gaspillé, éparpillé, entrecoupé (visites/RDV non prévus de collègues/élus, réunions interminables, déplacements contraints etc.) ; la notion du rapport au temps a ainsi été remis en question ;
Une attention : le télétravail n’a manifestement pas fait progresser l’égalité professionnelle
L’avènement de la visio conférence : un outil durable 
  • Une occasion de repenser le management ?
 
Cette période met en évidence les failles et les limites de nos modes de management
Lorsqu’il s’exerce à distance, le management doit probablement sortir, au moins en partie, de sa dimension politique et « communicationnelle ». À distance, les besoins des salariés en la matière ramènent le manager à une activité limitée, essentiellement de service à ses subordonnés… Est-ce un nouvel horizon du management ?
L’expérience des modalités d’un management bienveillant ayant permis de responsabiliser les managers et d’être attentifs aux capacités des un.es et des autres à s’adapter à la situation. Être à l’affut des signaux « faibles » Une plus grande vigilance doit être ainsi développée afin de mieux écouter, à travers une relation de travail à réinventer : tant dans les outils de suivis, de feedback, d’écoute... 

3 - Vive le mode de gestion en mode dégradé
  • La nécessaire réflexion sur les fondamentaux de l’action publique
  • Le réinvestissement ou l’élaboration des plans de continuité d’activité (PCA) dans la gestion de l’activité normale en « mode dégradé » quelles qu’en soient les raisons.
  • Reprendre et rebondir, au service de l'usager évidemment, mais aussi au service des personnels eux-mêmes : traverser une telle crise n'est pas sans impact sur l'état général des ressources. Des conflits ou des crises interpersonnelles ont pu apparaître ou se renforcer sitôt le retour des équipes en présentiel, exacerbés par des positions ou des comportements différents au moment de la reprise progressive des services.

4 - Un peu de stoïcisme dans un monde incertain
  • Dans un contexte virtuel, il s’agit de mettre en place des rituels pour signifier cette disponibilité et cette présence du management. Les rituels sont des repères et qui dit repères, dit pères : il est donc important de regarder du côté des grands penseurs, nos pères spirituels. Et notamment du côté du stoïcisme ou de l’épicurisme. En comprenant bien les principes de base : être capable de faire la différence entre ce qui dépend de moi et ce qui n’en dépend pas, se faire une représentation adéquate des choses. « Préserver sa santé physique et mentale en veillant à l’intégrité de sa citadelle intérieure, comme dirait Marc Aurèle : c’est-à-dire ne pas se laisser polluer par l’excès d’information, de commentaires, d’interprétations. ».
  • L’épicurisme également peut être utile si on l’entend comme la capacité à se réjouir de ce que l’on a, la capacité à trouver du plaisir, moment après moment.
  • Ne pas en vouloir aux évènements, travailler sur nos représentations, trouver dans la difficulté une occasion de progrès intérieur, changer ce qui peut l’être, cultiver la gratitude : des prescriptions universelles qui n’ont pas pris une ride. Une réponse cognitive au Coronavirus ?
  • Ce mélange de stoïcisme et d’épicurisme peut-il être une manière de composer la sobriété à laquelle appellent certains, pour envisager ce « monde d’après » ?

5 - Management interne, renforcement d’une culture commune ou creusement de l’écart entre métiers ?
  • La gestion de crise a mis les organisations publiques à rude épreuve. Qu’elles aient été ou non pourvues de Plan de Continuité d’Activité (PCA), toutes ont dû bricoler dans l’urgence pour utiliser au mieux les ressources dont elles disposaient. Cela a pu renforcer la cohésion d’un collectif se retrouvant « dans le même bateau » quel que soit le secteur d’appartenance ou le niveau hiérarchique.
  • Les propositions de l’État ont également obligé les managers à réfléchir à valoriser autrement la continuité de l’activité en période de crise, que ce soit par l’octroi d’une prime exceptionnelle ou par la gestion de diminution des congés. À contrario, ces possibilités offertes ont pu faire naître un sentiment d’injustice et/ou d’iniquité pour celles et ceux qui n’ont pas été sollicités alors même qu’ils (elles) étaient prêt.es à se rendre disponibles.
  • Entre les décideurs aux manettes sur les choix stratégiques et les agents de terrains à l’initiative « sur le front », quel rôle a pu jouer le management intermédiaire ? Comment ses missions se recomposent-elles, et quelle(s) culture(s) du management cela dessine ?
  • La fin d’un présupposé : la présence corrélative à l’engagement ! Le confinement a permis de mettre en lumière ces comportements.

6 - La formation, un impératif
  • L’innovation a toute sa place ici. Dans ce qu’elle a de plus agile, structurant et signifiant. Durant le confinement, nous avons pu le constater : le CNFPT a créé la plateforme « riposte créative territoriale » ; la région Grand Est la plus touchée par l’épidémie a développé des outils collaboratifs en particulier avec les équipes opérationnelles (guide du télétravail, d’élaboration du PCA et du PRA, guide des managers en période de crise…).
  • Les formations initiales : disposer d’un socle commun de droits/obligations/valeurs/connaissance de l’environnement territorial (ces formations seront surement à compléter à l’aune de cette crise), mais le STATUT n’est pas suffisant en soi, dans chacune de nos collectivités.
  • Investir le management de crise - Le plan communal de sauvegarde, un outil à redécouvrir
  • Le rôle des DGS - Et la relative absence des élus signalée régulièrement. Parfois certains collègues DGS ont eu la sensation d’être abandonnés de leur exécutif, lui-même désemparé par la situation. D’autres heureusement non. Et si cela était la preuve aussi qu’en matière d’organisation des services, c’est bien le DGS qui est à la barre ?
Emmanuel GROS