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« Moi, Président » par Pierrick LOZÉ

Vous vous souvenez, sans aucun doute, du débat de la campagne présidentielle de 2012 ? À cette occasion, le futur Président de la République a utilisé, pour déstabiliser son contradicteur de l’époque, une clause de style qui fait florès depuis : l’anaphore. L’anaphore est une figure de rhétorique qui consiste à commencer ces phrases par le même mot ou par le même syntagme, en l’espèce, le fameux : « Moi, Président… ».

Comme tout le monde territorial, il m’arrive de rêver et je me suis récemment transposé dans ce même débat présidentiel en 2017. L’échéance est proche et l’effort d’imagination n’est pas extraordinaire. Pour vous mettre en condition, je vais vous demander de fermer les yeux. Si, si, c’est indispensable faute de quoi, vous ne pourrez pas vous laisser entraîner dans le songe d’une nuit présidentielle. Vous imaginez les deux candidats que vous souhaitez voir parvenir au second tour de l’élection du Président de la République. C’est la condition qu’il faut accepter sinon, cet exercice de projection n’aurait pas de sens. Pour poursuivre, vous devez choisir celui des deux candidats qui a votre préférence, ou celui qui vous déplaît le moins, et bien évidemment, vous le gardez pour vous, car, comme dirait l’autre, cela ne nous regarde pas et qui plus est notre syndicat est apolitique, au sens le plus noble de la formule.
 
Marquer les esprits…
 
Bref, votre candidat préféré ou votre candidat « de moindre mal » va prendre la parole. Il doit marquer les esprits car le débat n’a pas encore livré son verdict. Il prend le visage de circonstance, celui des grands jours et des grandes déclarations. La tension est palpable. C’est le moment clé du débat : c’est maintenant que tout va se jouer. Votre candidat prend une grande respiration, nous sentons confusément que le moment va compter, peut-être même sera-ce un moment historique ?
 
Nous allons enfin entrer dans le registre de l’espoir car comme le dirait Bernanos : « l’espérance est un risque à courir ». L’histoire est en marche, formule neutre sans aucune relation avec un candidat en lice à l’élection présidentielle, je le précise. Après s’être parfaitement ventilé et avoir pris la mine de circonstance, votre candidat fixe son contradicteur et la caméra en même temps (oui, parce que votre candidat connaît parfaitement les codes médiatiques de ce type de séquence). Son œil rivé sur l’écran, comme s’il voulait parler autant au cœur qu’à l’esprit des électeurs. Le grand moment est arrivé. Enfin.
 

  • Moi, Président, je remettrai en cause toutes les réformes territoriales récentes qui sont autant de montagnes qui ont accouché de souris !
  • Moi, Président, je toiletterai les lois MAPTAM et NOTRe, pour créer un fondement législatif incontestable qui tienne compte des réalités de nos territoires, de la volonté des citoyens, et non pas des lubies de tel ou tel seigneur local. Il faut faire tomber les citadelles et les résurgences d’un Moyen-âge que l’on croyait à jamais révolu.
  • Moi, Président, je ferai en sorte que les nouvelles « grandes régions », ces colosses au pied d’argile, puissent devenir véritablement ce qu’elles doivent être, des institutions territoriales à l’échelle de l’Europe, dotées d’un vrai pouvoir réglementaire et des moyens de leurs grandes ambitions.
  • Moi, Président, je ne m’échinerai pas à faire de la question du département et de son maintien dans le paysage institutionnel français une question dogmatique mais j’aurai une approche pragmatique : là où le relais peut être assuré dans de bonnes conditions, il peut disparaître, et là où ce n’est pas possible, il perdurera.
  • Moi, Président, je remettrai à plat la recomposition des territoires autour d’intercommunalités cohérentes, négociées et je supprimerai toutes les intercommunalités subies et contraires à l’intérêt des territoires en question et à la volonté de leurs habitants.
  • Moi, Président, je remettrai en cause le phénomène de métropolisation non maîtrisé qui aboutit à la mise en place de métropoles là où il ne devrait pas y en avoir, et à l’inverse à la non-création de métropoles, là où justement, cela aurait du sens.
  • Moi, Président, je remettrai à plat les métropoles du Grand Paris et de Marseille qui sont des aberrations technocratiques qui ne répondent à aucun objectif digne de ce nom, sur la cohérence territoriale, la mutualisation, le développement durable et la vie des habitants.
  • Moi, Président, je consulterai préalablement les organisations des praticiens territoriaux, et je retiendrai leurs propositions plutôt que de m’en remettre aux élus qui ne recherchent que l’effet d’aubaine là où il faudrait parler de projets et aux technocrates qui n’ont qu’une vision utilitariste de l’organisation du territoire national (c’est légèrement caricatural, mais ce n’est qu’un rêve après tout).
  • Moi, Président, je reprendrai à mon compte les propositions du Syndicat National des Directeurs Généraux des Collectivités Territoriales (SNDGCT) dont je salue au passage le Président formidable qu’est Stéphane PINTRE (cela ne mange pas de pain…), je reprendrai donc à mon compte les propositions du SNDGCT sur la décentralisation et son développement, l’un des leitmotivs de cette organisation professionnelle.
  • Moi, Président, je reconnaîtrai ce Syndicat comme interlocuteur permanent des pouvoirs publics, qui devra, préalablement à toute loi ou à tout règlement concernant les collectivités territoriales, émettre un avis conforme. Je ferai évoluer la Constitution dans ce sens s’il le faut ! (Je le concède, c’est excessif et même inapproprié, mais nous sommes en plein rêve, ne l’oublions pas).
  • Moi, Président, je proposerai que le SNDGCT soit un membre de droit du Conseil Supérieur de la Fonction Publique Territoriale et qu’aucun avis ne pourra être rendu par cette instance tant qu’il n’aura pas reçu l’assentiment de ce membre de droit.
  • Moi, Président, je ferai reconnaître dans la loi et dans le règlement s’il le faut, le rôle, les prérogatives et les responsabilités du Directeur Général des Services (DGS) d’une collectivité territoriale, ce DGS qui, tel un hussard noir de la République décentralisée, porte si haut les couleurs de l’excellence territoriale (je l’admets de nouveau, c’est un peu « pompier » comme style, mais il n’y a pas de mal à se faire du bien !).
  • Moi, Président, je ne supprimerai plus d’emplois fonctionnels tant qu’une solution alternative, crédible et positive n’aura pas été trouvée en compensation pour les DGS et les Directeurs Généraux Adjoints des Services (DGAS). Sans solution de ce type, je suspendrai toutes les mesures prises et je mettrai fin à ces fusions d’intercommunalité qui ne sont, pour la plupart, que des constructions artificielles et politiciennes.
  • Moi, Président…

J’aurais pu continuer longtemps cette litanie mais il est temps de se réveiller, le devoir nous appelle et le grand soir territorial n’est sans doute pas pour demain…
À moins que ?...